Finalement, la "taxe Chirac" est un succès

Source : Le monde.fr - 04/04/2008

D eux dollars, donnés en plus lors de l'achat d'un billet d'avion par ceux qui le souhaitent pour financer dans le monde l'accès des plus pauvres aux médicaments. Cela devrait être possible dès 2009 pour la grande majorité des voyageurs aériens de la planète. Le conseil d'administration du fonds fiduciaire Unitaid, réuni jeudi 3 avril à Brasilia sous la présidence de Philippe Douste-Blazy, a annoncé qu'il avait adopté cette nouvelle source de financement. Volontaire, cette majoration du prix d'un billet d'avion vient en complément de la fameuse "taxe Chirac", mise en place à l'été 2006 pour commencer à alimenter Unitaid.

En dépit de débuts chaotiques et polémiques, cette taxe de solidarité, elle obligatoire, est aujourd'hui un succès. D'ailleurs, le conseil d'Unitaid a accueilli officiellement, jeudi, un nouvel Etat membre : le Portugal. Il rejoint les cinq pays fondateurs (la France, le Royaume-Uni, la Norvège, le Brésil et le Chili) et une vingtaine d'Etats ayant adopté ce système dont le Maroc et la Corée du Sud. L'Inde et la Chine pourraient bientôt les rejoindre.

Il est difficile de définir Unitaid. Un fonds ? Une ONG ? Quand on pose la question à Jean-François Rial, PDG du voyagiste Voyageurs du Monde et président de l'association Les Amis d'Unitaid, la réponse est claire : "C'est un organisme de l'ONU, hébergée par l'Organisation mondiale de la santé à Genève." Mais, c'est surtout, s'empresse-t-il d'ajouter, "une réponse possible, un exemple pédagogique, un moyen original de trouver des financements innovants pour traiter l'aide au développement" . Une aide dont le but premier est de donner à tous l'accès aux médicaments, afin de lutter contre les grandes pandémies : sida, paludisme et tuberculose.

Restait à trouver des sources de financement inédites et efficaces. "L'aide au développement relève en général des Etats et est souvent basée sur des aides bilatérales, mais, depuis cinquante ans, les Etats ne font pas face à leurs obligations" , regrette M. Rial. Le scénario est souvent le même : les aides se prolongent un an, deux ans, voire trois... puis sont abandonnées. Mais si elles ne sont pas pérennes, elles ne sont pas efficaces. La singularité d'Unitaid est là : ne pas compter sur des contributions d'Etat, mais s'appuyer sur celles d'une activité privée comme... le transport aérien et impliquer au passage le citoyen du monde qui voyage.

Le transport aérien, symbole de la mondialisation, a été assez logiquement retenu comme la première source de financement. La mise en place par la France, à l'été 2006, d'une taxe obligatoire, ne s'est pas faite sans vague. "Personne ne connaissait Unitaid , explique M. Rial, mais tout le monde avait entendu parler de la "taxe Chirac"" ! Officiellement, celle-ci a pour nom "taxe de solidarité sur le transport aérien". Les compagnies aériennes se sont les premières élevées en choeur contre une nouvelle ponction financière frappant leur activité - un secteur déjà durement éprouvé, pêle-mêle par les attentats du 11 septembre 2001, le ralentissement économique et la hausse ininterrompue des cours du pétrole qui rend plus cher le kérosène.

L'accueil ne fut pas meilleur du côté du consommateur, qui voyait le prix du billet de nouveau poussé à la hausse, et cette taxe s'ajouter aux autres : celle perçue par l'aéroport pour l'utilisation de ses installations, celle qui finance le fonctionnement de la direction générale de l'aviation civile, celle de sûreté, de sécurité et d'environnement qui est reversée aux aéroports et, enfin, la surcharge carburant, que les compagnies aériennes répercutent régulièrement dès que le cours du kérosène dépasse un certain niveau.

Jean-Cyril Spinetta, PDG d'Air France-KLM, s'en était même ému : "Pourquoi taxer l'avion ? pourquoi pas le train ? Une telle taxe n'entraînera-t-elle pas une distorsion de concurrence entre les compagnies entre celles qui seront tenues d'appliquer la taxe et les autres ?" Un an plus tard, en juillet 2007, le constat était tout autre : cette taxe n'a finalement pas pesé sur l'activité des compagnies qui l'appliquent ; et le patron d'Air France déclarait au Salon du Bourget : "Bien sûr, au départ, nous avons constaté une incidence négative sur le transport, mais rapidement cela s'est estompé, le niveau de taxes fixé étant raisonnable."

Unitaid a collecté 300 millions de dollars en 2007 et pu négocier d'importantes remises, de l'ordre de 30 % à 50 %, sur l'achat de médicaments auprès des laboratoires pharmaceutiques. Pour 2008, Unitaid prévoit d'engranger 500 millions de dollars.

Tous les pays adhérents n'ont toutefois pas mis en place le système de taxe de solidarité sur le transport aérien. La moitié d'entre eux ont préféré conserver un système basé sur une contribution volontaire pluriannuelle. "C'est parce qu'Unitaid était conscient que cette taxation des billets avait certaines limites et que l'adhésion de nouveaux pays n'était pas aussi rapide que prévue que le conseil d'administration a cherché d'autres formules de financement" , explique M. Rial. Dorénavant, les pays qui n'ont pas opté pour une contribution obligatoire pourront mettre en place la contribution volontaire sur les mêmes billets d'avions.

Son lancement devrait être effectif dans la deuxième partie de l'année 2009. Unitaid a obtenu l'accord et l'aide des trois grands systèmes de réservation informatiques mondiaux - les fameux GDS ( global distribution systems ) - que sont Amadeus, Galileo et Sabre. A eux trois, ils traitent les deux tiers des réservations aériennes mondiales. Unitaid les a convaincus d'implanter dans leurs systèmes informatiques de réservation, accessibles depuis toutes les agences de voyages, la possibilité pour le voyageur de dire "oui" ou "non" à une contribution volontaire de 2 dollars par vol.

Les sommes en jeu peuvent être considérables. En 2006, environ 1,8 milliard de billets d'avions ont été achetés dans le monde sur des lignes régulières. Sur ce nombre, 1,2 milliard de passagers ont réservé par l'intermédiaire des GDS. Cette contribution volontaire pourrait rapporter entre 900 millions et 1 milliard de dollars par an.

Quant aux 600 millions de billets d'avion restants, ils se répartissent en trois tiers égaux : 200 millions pour les compagnies à bas coûts, 200 millions pour les compagnies régulières et 200 millions pour les vols charters. Unitaid envisage de demander aux compagnies à bas coûts de proposer sur leurs sites Internet cette contribution volontaire.

Pour Unitaid, ces sources de financement supplémentaires sont absolument nécessaires. Sur les 7 millions de personnes qui auraient besoin d'un traitement contre le sida dans les pays en développement, seules 2 millions y ont accès. Unitaid n'entend pas s'arrêter là. Elle veut décliner l'idée d'une contribution volontaire à d'autres activités comme les communications téléphoniques mobiles, les clics sur Internet et, pourquoi pas, la consommation d'essence...